jeudi 27 octobre 2011

Sur l'amour




Une évidence s’impose : on désigne plusieurs choses différentes par le terme « amour ». On dit avoir de l’amour pour une activité, pour un endroit, pour un groupe, pour une personne… L’amour dont je souhaite parler est l’amour qui est à la base d’un couple : c’est l’amour que l’on qualifie de romantique ou de conjugal. On peut distinguer cet amour en deux grandes formes : l’attraction et la dévotion. Je crois que cette distinction est essentielle lorsque l’on se questionne sur la nature de l’amour.


L’attraction est l’amour que l’on ressent sans le vouloir. Cette forme d’amour est composée de désir sexuel, d’affinité affective et de fascination intellectuelle. Dépendamment de notre contexte personnel, de nos sensibilités particulières et de l’influence de notre entourage, on valorise surtout l’une ou l’autre de ces composantes. À travers cette diversité circonstancielle, l’attraction possède toujours certains attributs fondamentaux.

Comme je le mentionnais d’emblée, l’attraction est involontaire. C’est-à-dire que nous ne choisissons pas d’aimer ainsi. Parfois, l’attraction est même contraire à notre volonté. L’exemple le plus commun d’une telle contradiction est le cas où une personne déjà engagée amoureusement devient amoureuse d’une tierce personne. Cet amour entre en conflit avec un autre amour. La plupart des gens souffrent alors qu’ils doivent trancher entre les deux amours ; quelques-uns essaient de les concilier. Le caractère involontaire de l’attraction est à la source de bien des tragédies amoureuses.

L’attraction n’est pas seulement à risque d’être anéantie par un amour concurrent ; elle est au moins aussi à risque de s’éteindre par elle-même. Cette forme d’amour est donc consommée par le passage du temps. Pour qu’elle soit durable, elle doit être constamment réalimentée. Cette réinvention constante ne peut être que le fruit de la volonté, mais une telle volonté n'est pas dans la nature de l’attraction. En effet, la nature de l’attraction étant d’être ressentie sans égard pour la volonté, ce n’est pas en elle-même qu’elle peut puiser la force de faire des efforts volontaires pour se renouveler sans cesse. Là est le rôle de la dévotion.

La dévotion n’est pas un sentiment : elle est une volonté. Elle n’est pas la force par laquelle on est attiré vers l’autre ; elle est la force par laquelle on se donne à l’autre. Elle ne dépend de rien sinon d’elle-même. Elle ne veut pas jouir, elle ne veut pas posséder, elle ne veut pas explorer : elle veut simplement donner. Ainsi, la réaction initiale de notre esprit lorsque nous vivons la dévotion n’est pas « Je te veux » mais bien « Je te remercie d’exister ». La dévotion n’est rien d’autre qu’un don de soi. Un don de nos pensées, de nos paroles et de nos actes.

Si ce don est véritable, on ne se possède plus. On ne veut pas que l’autre nous appartienne : on veut appartenir à l’autre. On ne veut pas que l’autre nous permette de nous épanouir : on veut que l’autre s’épanouisse. Notre bonheur n’existe plus en soi : notre bonheur devient celui de l’autre. Là où l’attraction peut facilement prendre des penchants très égoïstes, la dévotion anéantit naturellement l’égoïsme en même temps que l’égocentrisme. On ne pense plus à notre propre bien-être ; on ne pense plus à nous-mêmes.

La dévotion est donc intègre et éternelle. Si on se donne à l’autre, on ne peut plus se donner à quelqu’un d’autre. Si on se donne à l’autre, on ne peut pas se reprendre. Donner, c’est donner ; reprendre, c’est voler. Il n’y a aucune fatalité dans la dévotion puisqu’elle est volontaire ; il n’y a aucune condition extérieure qui puisse s’imposer à elle. La fin de la dévotion ne peut être que le fruit de la volonté et, puisque la dévotion est une volonté, on ne veut pas sa fin. La nature de la dévotion dépasse tous les accidents de la vie.

Quel est donc le rapport entre l’attraction et la dévotion? Sont-elles contradictoires? Sont-elles indépendantes? Je ne crois pas. Je crois qu’elles sont les deux pans d’une réalité subtilement unie. En termes philosophiques, je dirais que l’attraction en est la substance et que la dévotion en est l’essence. Plus concrètement, l’attraction est ce qui donne la joie et la dévotion est ce qui donne le sens. Tout bonheur véritable est une union de joie et de sens. Un bonheur sans joie est fade ; un bonheur sans sens est absurde. Ainsi, l’amour heureux combine l’attraction et la dévotion.

Il importe de comprendre que l’attraction et la dévotion ne sont pas des degrés de l’amour : elles sont deux formes distinctes et complémentaires de l’amour. Il faut de la dévotion pour avoir la volonté de maintenir l’attraction, et il faut de l’attraction pour souhaiter faire le don de soi qu’implique la dévotion. Leur complémentarité se manifeste aussi par le fait que l’attraction, lorsqu’elle doublée de la dévotion, cesse d’être compétitive ; sa variabilité cesse de causer sa relativité. Même si une nouvelle attraction contradictoire est ressentie, la dévotion la ramène vers la personne à qui elle s’est donnée. Par la dévotion, l’attraction trouve sa paix pour donner naissance à un amour véritable.

vendredi 21 octobre 2011

En défense de Homer


L’idée de formuler une défense de Homer m’est venue en lisant cette description à son sujet : « Homer incarne le stéréotype américain de la classe ouvrière : il est vulgaire, en surpoids, incompétent, maladroit, paresseux et ignorant; cependant, il est essentiellement un homme honnête et il est profondément dévoué à sa famille. » Bien souvent, quand on pense à Homer, on pense au nombre et à la gravité de ses vices. On pense à tous les tourments que doivent endurer sa femme Marge et ses enfants ; particulièrement Bart, qu’il étrangle régulièrement. L’ensemble de son entourage souffre sévèrement des diverses grossièretés et excentricités que Homer lui impose.

Homer n’est certes pas un citoyen modèle mais, si on se pose la question sérieusement, il est loin d’être un proche indésirable. Pour s’en rendre compte, il suffit d’inverser ses vices et ses vertus. Il suffit d’imaginer un homme raffiné, athlétique, compétent, adroit, travailleur et érudit mais essentiellement malhonnête et profondément indifférent à sa famille. Imaginons cet homme, et comparons-le à Homer. Lequel est le meilleur ami? Lequel est le meilleur père? Les vices de Homer impliquent de graves désagréments pour tous ceux qu’il côtoie mais ils ne font pas de lui une mauvaise personne.

Plus sérieusement encore, d’un point de vue philosophique, on pourrait dire que Homer est aussi bon qu’il peut l’être. C’est-à-dire que, là où ses vices paraissent être largement dus à un environnement défavorable et à un bagage génétique médiocre, ses vertus, rares mais cruciales, relèvent des aspects de la personnalité que l’on attribue traditionnellement au libre-arbitre : les valeurs les plus fondamentales. Il n’a pas consciemment choisi d’être vulgaire, en surpoids, incompétent, maladroit, paresseux et ignorant. Il ne choisit pas consciemment d’être souvent négligeant et insouciant envers ses proches. Mais dès qu’il prend conscience du mal qu’il cause à ses proches, ou du bien qu’il ne leur procure pas, il devient l’homme le plus courageux et le plus acharné du monde pour réparer ses torts. On s’amuse bien en se moquant de ses vices extravagants, mais on devrait aussi s’humilier devant l’intensité de ses vertus.