lundi 13 septembre 2010

Comme je te hais

Une âme prostrée sur sa terre
Roi adulé aujourd’hui, cadavre oublié demain
L’intelligence autant que la force
Se dissipent et se renversent au gré des vents

Éternité angoissante; infinité prometteuse
Le regard de l’homme, toujours distrait
Osera-t-il, pourra-t-il
Souiller la perfection qui n’est pas la sienne?

Ô grandeur céleste, comme je te hais!
Comme je hais ta beauté, comme je hais ton mystère!
Tes rêves me hantent; ton immobilisme m’insulte!
Et pourtant, tu me séduis…

La danse des atomes, ce théâtre injustifié
Les énergies cosmiques narguent nos vies éphémères
Assaillent chacune de nos raisons, chacun de nos principes
L’illusion devient si tentante; la mort devient si légère

Et pourtant, si terrifiantes!

Un cri dans le vide
Un murmure dans une oreille
Des ondes, des faits
Une existence, un néant

La lâcheté des hommes confortables est sans limite
Leur prestige, irrésistible
Un âge de noble cruauté puis un âge de sagesse pathétique
Quel destin pour les enfants des singes?

La légèreté des machines nous écrase
Avec l’honneur dont nous avons hérité
Vainement
Pardon, illustres ancêtres!

L’évasion devient le sens; le voyage devient la résidence
La gloire est l’altruisme; l’altruisme est la gloire
Sans vérité, sans justice
Mais beaucoup de valeurs : autant de valeurs qu’on puisse en imaginer

Des valeurs pour les forts, des valeurs pour les faibles
Des valeurs pour les hypocrites, des valeurs pour les apathiques
Des valeurs qui forgent le monde qui les forge
Des valeurs qui annihilent les racines des valeurs

Une époque de plainte, une époque de pitié
La tolérance perd sa vertu
Plutôt que d’aimer sans juger
Elle juge sans châtier

Décadence!

Le dernier des vrais hommes ne versera aucune larme
Tel Zarathoustra, réel ou figuré
Il chérira chaque bribe de vie, aussi souillée soit-elle
Il punira sans honte car il s’attachera sans restreinte

Ô liberté chérie, comme je te hais!
Comme je hais ta pudeur, comme je hais ta candeur!
Ton ambition m’humilie, ta suffisance me dégoûte!
Et pourtant, tu me séduis…

Vive ta joie inconsidérée, vive ta morale rapiécée!
Vive ta domination servile, vive ton apothéose nihiliste!
Que mes choix soient sacrés, que mes actes soient véniels
Ainsi vit l’homme devenu plus grand que Dieu : animal

Plaisirs incommensurables : qui vous refuserait?
Peurs insurmontables : qui vous confronterait?
Qui opterait pour le choix non-calculé?
Qui adopterait l’enfant non-planifié?

Pas moi! Pas l’homme raisonnable!

Pas le monde sensé au sein duquel nous vivons
Et encore moins les bureaucrates avisés qui nous quantifient
Surtout pas les scientifiques éperdus d’une matière inhumaine
Moins que tous : les bien-pensants qui trônent sur leur propre âme

Mais vains, tellement vains…

Osent-ils penser à demain? Peut-être
À après-demain? Jamais!
Demain est tellement loin, après-demain est un leurre
Après-demain est le royaume exclusif des rêveurs

Eh bien, rêveurs de ce monde, éveillons-nous!
Prônons la véracité plutôt que l’épanouissement!
Adoptons le futur plutôt que son anticipation!
La chair fraîche a tellement meilleur goût!

Mais la honte est lourde à porter
Sa voie ne garantit aucun oasis

Anonymes, opprimées, méprisées, banalisées
Les vraies victimes de ce monde ne sont jamais des victimes
Autrement, nous ne saurions pas qu’elles le sont!
Sauf en croisant leurs yeux dans la rue, un instant

Un instant inoubliable, un instant fatal
Un instant éternel, un instant intemporel
Un instant qui fracasse les certitudes
Un instant qui inspire la folie

Ou le bon sens, si on n’est pas bien-pensant

Quel paradoxe savoureux que d’admirer la jeunesse occidentale
Fière dénonciatrice de la proéminence économique
Elle n’aspire qu’à lui succéder bêtement
Comme les bolchéviques au tsar, comme Ève à Dieu!

Je serais prêt à mourir pour suivre ces apôtres du malheur
Je serais prêt à tuer pour idolâtrer ces champions de la justice
La modernité est experte à supprimer les obstacles
Seule subsiste cette chose, scientifiquement incongrue : la conscience

Quel esclave volontaire suis-je?!
Je soumets mes plus belles idées à ces pensées inconsistantes
Je filtre mes meilleures hypothèses en fonction de cette absurdité
Et pourtant, mon sang abreuve toujours mon cerveau

Et pourtant, ma raison éclaire toujours les cieux

Et pourtant, je sais que la vérité réside là où on l’attend
Mais pas où on la désire
La souffrance et la mort sont les bienvenues
Dans un monde où seuls les tourments peuvent éveiller les endormis

Dont je suis