mercredi 29 octobre 2008

Imaginer la paix


Imagine there’s no countries
It isn’t hard to do
Nothing to kill or die for
And no religion too


Ces paroles de la célèbre chanson « Imagine » de John Lennon expriment purement l’idéal pacifiste. Nous ne devons pas combattre, nous devons nous aimer. Les pays ne sont pas importants, les gens sont importants : Il est absurde de sacrifier des gens pour des pays. Le patriote qui accepte de tuer et de mourir pour son pays crée un cercle vicieux : Il tue pour se protéger et il se fait tuer par ceux qui se protègent de lui ! La religion aussi inspire des guerres, la religion aussi devrait disparaître.

C’était la réflexion à partir de la réalité vers l’idéal, faisons maintenant la réflexion à partir de l’idéal vers la réalité : C’est un exercice beaucoup moins poétique mais nettement plus instructif. Le patriotisme guerrier étant un cercle vicieux, les progressistes s’imaginent incarner le progrès en quittant ce cercle vicieux tout bonnement. Que les deux tiers de l’humanité soit toujours dans ce cercle vicieux ne les émeut nullement : Nous, progressistes, devons être l’exemple de l’humanité. Donc, dans un monde où les deux tiers du monde sont composés de pays pour lesquels des patriotes sont prêts à tuer et à mourir, la petite faction progressiste est composée de pays sans patriotes. Leur intuition leur dicte que, nous voyant nous démunir de l’arme dont dépend toutes les autres, l’esprit guerrier, les autres pays seront inspirés par l’exemple et s’en démuniront de même.

Bien être bien franc, cette intuition me paraît très naïve. Je ne prône pas la guerre mais mon intuition me dicte que, le jour où nous perdrons la volonté et la détermination nécessaires pour mener une guerre, nous cesserons d’être un pays souverain. Le jour où plus personne n’acceptera de tuer et de mourir pour notre pays, les pays les plus agressifs pourront nous dicter tous leurs caprices. Il n’y a qu’à voir le Tibet : Ce fut la conquête la plus facile du monde ! Je condamne l’impérialisme des Chinois ; la Chine n’est pas pardonnée parce que les Tibétains sont paisibles. Par contre, le pacifisme des Tibétains ne m’inspire aucune admiration. Leur culture et leur spiritualité disparaissent alors que la Chine assure la décadence de leurs jeunes ; cet adieu serein à l’existence est-il porteur d’une véritable dignité ? Les Tchétchènes n’ont pas particulièrement plus de succès contre les Russes mais j’admire leur résistance acharnée : Il y a là une volonté de vivre, d’exister dans sa forme authentique, qui incarne les meilleures raisons pour lesquelles l’humanité mérite d’être protégée ! Je partage l’importance que les pacifistes accordent à la valeur de la vie humaine, seulement je crois que le véritable amour de la vie est celui qui est prêt à se battre pour la vie. Je crois que les vrais humanistes sont ceux qui acceptent le paradoxe d’enlever la vie pour sauver la vie.

Le militarisme peut être humanitaire en ce sens que les moyens militaires peuvent devenir exclusivement au service des causes humanitaires. Le vice du militarisme est qu’il est traditionnellement associé à l’impérialisme : À la volonté de dominer les étrangers en tirant des avantages d’eux. En quoi les forces militaires sont-elles forcément vouées à maintenir ce rôle traditionnel ? À mes yeux, le progressisme réel (réaliste) n’est pas celui qui aspire à abolir le militarisme mais bien celui qui aspire à abolir l’impérialisme pour humaniser le militarisme. Les pires souffrances actuellement vécues dans les pays défavorisés ne sont pas causées par la maladie et la famine : Elles sont causées par la tyrannie et le barbarisme. Si notre volonté est de venir en aide aux déshérités de la Terre que sont les Africains, qui subissent les pires exactions et les pires massacres au quotidien, les forces militaires peuvent apporter beaucoup plus de bien-être que des denrées et des médicaments (qui ne sont pas moins primordiales pour autant).

Bien sûr, contrairement à l’aide économique, les interventions militaires nécessitent une puissante vigueur politique en plus de l’argent. Ainsi, les politiciens sans principes qui ne visent qu’à satisfaire leur électorat se réjouissent de voir les progressistes adopter la morale pacifiste : Ils n’ont pas besoin de s’engager dans de dangereuses aventures politiques pour prétendre à l’humanisme. Si les progressistes s’attendaient des gouvernements qu’ils soient adéquatement armés et légitimés pour intervenir militairement lorsqu’un génocide commence, le Rwanda et le Darfour auraient été évités sans aucun doute. Malheureusement, la réalité est autre. Les conservateurs sont militaristes mais ils laissent les vieux relents impérialistes diriger l’action des forces militaires. Les progressistes sont carrément anti-militaristes : ils dénoncent la non-action des armées occidentales face aux génocides mais ils dénoncent tout autant les dépenses et le recrutement nécessaires pour se donner les moyens de telles actions. Ainsi, il ne reste personne de prêt à se battre pour l’humanisme ; il n’y a que ceux qui le banalise et ceux qui s’en réclame sans en accepter les sacrifices nécessaires. J’estime que les progressistes font un bon travail de sensibilisation pour que l’humanisme ne soit plus banalisé mais je ne vois pas qui invite aux sacrifices nécessaires… Peut-être n’y a-t-il personne. Ici encore, rien de mystérieux : À l’ère de la politique facile, simple et prévisible, est-il plus payant de verser une larme en parlant de nos morts ou d’appeler ses compatriotes à se sacrifier pour sauver la vie d’étrangers ?

mercredi 22 octobre 2008

Quel nationalisme?


Le nationalisme est un phénomène fascinant. Il sait être le porteur du meilleur et du pire. De la solidarité humaine la plus concrètement vécue jusqu’à la haine maladive la plus injustifiée, le sentiment national inspire des valeurs aussi étonnantes que diverses. Ces valeurs peuvent être inclusives ou exclusives, totalitaires ou aristocratiques. Alors que les différents degrés de ces valeurs varient subtilement en fonction des nationalismes particuliers, on peut imaginer un très vaste éventail de sentiments nationaux.

Certains nationalistes ont le besoin d’être exclusifs alors que d’autres ne l’ont pas. Pour ceux qui l’ont, la possibilité d’avoir deux idées du « nous », une forte et une faible, paraît nettement moindre que celle d’avoir un « nous » unique et fort. Les nationalistes exclusifs croient que la solidarité nationale est généralement diluée si elle inclut un « nous » faible, ce qui diminue d’autant la raison d’être du nationalisme. Au Canada, ils sont ces nationalistes qui espèrent, au moins secrètement, que la culture anglaise assimilera éventuellement l’héritage français du Québec. Au Québec, ils sont ces nationalistes qui abhorrent l’idée même d’un pacte fédératif avec le Canada anglais, sans égard pour le contexte sociohistorique. Dans les deux cas, ils rêvent d’une nation unie non pas au sens « ensemble » mais bien unie au sens « un ». Les nationalistes inclusifs sont ceux qui veulent une nation unie au sens « ensemble »; c’est-à-dire que l’unité est sa fin mais qu’on accepte que sa source soit diversifiée. Ces nationalistes croient qu’un tout nouveau sentiment de solidarité est créé par l’addition d’un nationalisme plus large; l’ancienne solidarité nationale n’étant aucunement affectée par la nouvelle. Selon cette logique, il n’y a aucune contradiction à l’idée qu’un pays soit composé de plusieurs nations. Le fédéralisme n’est compatible qu’avec le nationalisme inclusif car le nationalisme exclusif aspire à l’idéal de l’État-nation, c’est-à-dire la concordance entre les frontières nationales et les frontières étatiques. Pour le Québec, cela implique un pays séparé alors que, pour le Canada, cela implique un État unitaire (centralisé). Autant au Québec qu’au Canada, on voit ces deux types de nationalisme se confronter.

Cette distinction entre nationalismes inclusif ou exclusif relève de la prémisse idéologique du nationalisme. L’autre distinction, pas complètement étrangère à la précédente, est celle qui relève de la culture sociale amenée par le nationalisme. Selon cette deuxième distinction, le nationalisme peut être totalitaire ou aristocratique. Lorsque le sentiment national est totalitaire, son idéal est d’unir tous les citoyens en un Tout indivisible et uniforme. Les citoyens sont ainsi des organes de cet être collectif qu’est la nation; leur vie n’a de sens que par leur appartenance à la nation. Bien que ça ne soit pas évident pour l’observateur superficiel, le charme de cette vision relève de ses racines égalitaires. La justice sociale n’est pas seulement économique : elle est morale. Ainsi, ce n’est pas l’écart de richesse qui est la source de l’injustice : c’est l’écart de dignité. Si la dignité de l’individu est celle de la nation et vice-versa, il ne peut subsister aucun écart de dignité. L’individu doit tout à la nation et la nation doit tout à l’individu; l’obligation est réciproque et indéfinie. L’effet pratique de cette obligation est le pouvoir absolu des chefs nationaux : aucun moyen n’est trop lourd lorsqu’il s’agit d’assurer l’« entraide » entre les citoyens et la nation. Ainsi, là où le sentiment égalitaire est extrême, le sentiment national est totalitaire. Une fois le sentiment national devenu totalitaire, il reste ainsi même si le sentiment égalitaire disparaît… L’idée nationale devenant un credo spécifique plutôt qu’un simple sentiment d’appartenance, elle constitue le socle d’un régime totalitaire à venir. Le nationalisme américain prend un penchant totalitaire lorsque que ceux qui s’opposent aux guerres menées par leur nation sont accusés de manquer de patriotisme. De même lorsque des Québécois qui ne partagent pas lesdites « valeurs québécoises », à savoir la social-démocratie et le progressisme, sont accusés d'être américanisés.

Si le nationalisme est aristocratique, la culture sociale est bien différente. Là où la nation totalitaire se conçoit comme une entité supérieure composée des citoyens, la nation aristocratique se conçoit comme une entité extérieure à laquelle s’associent les citoyens. C’est le nationalisme antique : celui des patriciens romains qui investissaient leur fortune personnelle pour sauver leur patrie (à l’inverse des aristocrates modernes qui condamnent leur patrie pour gonfler leur fortune personnelle). La différence entre le nationalisme aristocratique (que certains préfèrent nommer « patriotisme ») et le libéralisme est plus psychologique qu’institutionnelle. Tous les nationalistes estiment que la nation est plus importante que l’individu (c’est la différence essentielle avec le libéralisme) mais, alors que le nationaliste totalitaire estime que la nation est une incarnation unique, le nationaliste aristocratique estime que la nation est une incarnation multiple. Ainsi, la nation aristocratique est naturellement unie dans le sacrifice nécessaire pour résister à une force étrangère mais elle est tout aussi naturellement divisée dans ses affaires internes; les rivaux à l’intérieur de la nation ne sont pas considérés comme des ennemis de la nation. Ce nationalisme est aristocratique car, en l’absence d’une autorité unique pour diriger l’entité nationale, celle-ci est dirigée par ses élites diverses. En admettant que la nation n’est pas uniforme, on permet à des élites rivales de se faire compétition pour la suprématie sans que celle-ci ne soit jamais absolument atteinte.

Mon objectif en écrivant ce texte est de faire valoir la diversité des réalités qui sont représentées par le terme « nationalisme ». Certains libéraux dénigrent le nationalisme comme étant une philosophie archaïque et grossière; certains nationalistes dénigrent tout ce qui n’est pas leur propre nationalisme comme une forme d’égoïsme, voire de lâcheté. Si on accepte que être « nationaliste » n’indique rien de précis, sinon qu’on est moins individualiste que les libéraux, on comprend mieux comment les nationalistes peuvent être en profond désaccord sur ce que devrait être la nation. Personnellement, je n’aime vraiment pas l’attitude englobante que prend le nationalisme du Québec. Lorsque certains nationalistes me disent que mes valeurs ne sont pas québécoises, ils m’enlèvent effectivement l’envie de m’identifier à la nation québécoise. Je ne dis pas que ces nationalistes sont totalitaristes, je dis que cette forme de nationalisme tend vers le totalitarisme et que, si on le laisse se développer ainsi, il le deviendra un jour. Le nationalisme doit être un sentiment d’appartenance, il doit être du patriotisme; il ne doit pas être un credo particulier servant à marginaliser ceux qui n’y adhèrent pas.

Nous, les corporations


Qui dit que les débats politiques sont tous vides et fades? Le dernier des trois débats entre les deux candidats à la présidence des États-unis, Barack Obama et John McCain, était rempli d’affirmations franches et explicites. Par exemple, juste au sujet de la fiscalité, on a l’impression de percevoir la lutte des classes à son niveau le plus élémentaire. J’entends souvent les gens dire que la droite est secrètement contrôlée par les corporations. C’est étrange, car je ne vois pas tant de secret dans l’alliance entre la droite et les corporations. Si Obama peut accuser constamment McCain d’être à la solde des corporations en citant les dizaines de milliards en baisses d’impôts qu’il leur promet, c’est parce que les Républicains l’ont annoncé et le reconnaissent en pleine campagne électorale. Autrement, McCain nierait ces accusations à répétition, ce qu’il ne fait pas.

Ce faisant, les Républicains avouent qu’ils représentent les intérêts des corporations : « Nous, les corporations ». Cependant, ils prétendent que les intérêts des corporations sont compatibles avec ceux du peuple parce que les corporations investissent alors que le peuple consomme. Quoi qu’il en soit, il est remarquable que cette fameuse oligarchie financière toujours dénoncée par les socialistes fasse ouvertement compétition au sein du processus démocratique pour faire valoir ses intérêts : Oubliez la corruption secrète des décideurs après qu’ils soient élus (ça se produit aussi, mais ce n’est pas – ou plus – la stratégie centrale des élites financières).

Joe le Plombier



Éphémère figure médiatique de la campagne présidentielle, Joe le Plombier incarne le travailleur, le prolétaire qui travaille 10 ou 12 heures par jour (voir les 30 premières secondes de la vidéo), qui ne veut pas payer les horribles impôts démocrates. Les méchants démocrates vont l’empêcher de réaliser le rêve américain! Ça a du sens… Surtout quand on réalise que Joe gagne plus de 200 000 $ par année … et tout le monde sait que c’est à 200 000 $ par année que le rêve américain commence! Joe n’est donc pas ce prolétaire qui espère réaliser le rêve américain, il est un entrepreneur qui réalise le rêve américain! À cet égard, ces échanges à la fin de la vidéo me semblent particulièrement révélateurs.

Obama – « Mon ami et supporteur Warren Buffett peut se permettre de payer un peu plus d’impôts… »
McCain – « C’est de Joe le Plombier dont on parle! »
Obama – « … pour qu’on puisse baisser les impôts de Joe avant qu’il ne soit au point où il peut faire 200 000 $. »

La stratégie de McCain pour faire croire que ses baisses d’impôts profiteraient aussi à des gens qui ne sont pas riches a échouée : Les téléspectateurs réalisent alors, soudainement, que Joe le Plombier n’est pas un prolétaire. Obama a tenté autant que possible d’éviter de caractériser les petits entrepreneurs comme Joe parmi les « riches » qui doivent payer des impôts, préférant plutôt mentionner le milliardaire Warren Buffett, mais, après avoir été poussé dans le coin par McCain, il s’y est résigné.

Obama – « Personne n’aime les impôts […] mais nous devons ultimement payer pour ces investissements essentiels qui font une économie forte – »
McCain – « Personne n’aime les impôts, n’augmentons les impôts de personne. »
Obama – « Non, ça ne me dérange pas d’en payer un peu plus. »

Ce dernier échange est, à mes yeux, l’incarnation de la division la plus profonde entre la gauche et la droite. Cette affirmation de McCain, « Personne n’aime les impôts, n’augmentons les impôts les personne » est ce qui me rebute de la droite. C’est clair que la pauvre mère monoparentale n’aime pas plus les impôts que le riche PDG; est-il également injustifié de leur faire payer des impôts pour autant? Cette idée qu’on ne doit pas trop taxer les riches à cause du danger de relocalisation est sensée dans la mesure où elle n’est pas poussée à l’extrême. On ne doit pas trop taxer les riches mais il faut les taxer plus que la classe moyenne! Les corporations sont déjà assez puissantes; elles n’ont pas besoin d’être favorisées lorsque vient le temps de décider qui payera les impôts. Le capitalisme que prône formellement la droite est trop souvent un corporatisme qui pousse le peuple dans les bras du socialisme. Si nous devons avoir un capitalisme juste et équitable, la taxation progressive est une nécessité au moins pour symboliser que les corporations n’ont pas une emprise décisive sur le gouvernement. Les capitalistes qui m’inspirent confiance sont ceux qui n’ont pas peur d’utiliser le vocable « justice sociale » pour définir ce que procure le capitalisme qu’ils proposent. Le capitalisme des Républicains américains et de la droite politique en général ressemble plus au capitalisme que Marx dénonçait, c’est-à-dire au corporatisme au sein duquel les corporations contrôlent l’État, qu’à un véritable système de concurrence libre et équitable.

mercredi 15 octobre 2008

Non au scrutin proportionnel


Pour les non-initiés au débat sur le mode de scrutin, je commence par un bref aperçu des deux possibilités générales. D’un côté, il y a le mode de scrutin uninominal: C’est le vote par circonscription présentement utilisé. Les citoyens de chaque circonscription votent pour un candidat désigné par son parti, celui qui reçoit le plus de votes (la « pluralité ») est élu. Ainsi, un candidat peut être élu par une minorité si plusieurs autres candidats se divisent la majorité. Les votes pour les candidats perdants n’ont aucun effet parlementaire. Ces votes procurent une certaine crédibilité médiatique ainsi qu’un maigre financement gouvernemental mais ils n’accordent aucune autorité officielle. De l’autre côté, il y a le mode de scrutin proportionnel: C’est le vote par liste de parti. Plutôt que de voter pour un candidat individuel, l’électeur vote pour un parti politique. Les candidats sont élus parmi les listes des partis en proportion des votes de l’ensemble de l’électorat. Ainsi, aucun vote n’est « perdu » car chaque vote individuel est directement investi dans le bassin électoral des partis politiques. Les candidats élus par ces listes ne représentent pas une communauté spécifique; leur mandat est d’autant plus diffus que c’est l’élite des partis, sinon la chefferie elle-même, qui décide la composition desdites listes.

J’ai longtemps été un fervent supporteur du scrutin proportionnel; j’ai appuyé quelques initiatives le favorisant et j’ai argumenté à répétition en sa défense. Ces argumentations m’ont amené à une importante remise en question face au scrutin proportionnel. Comme le titre l’indique sans équivoque, je désavoue maintenant le scrutin proportionnel: Je me porte conséquemment à la défense du scrutin uninominal.

Le scrutin uninominal, en écartant les votes pour les candidats perdants, crée une puissante pression en faveur du bipartisme. À mon avis, il s’agit là d’une vertu plus que d’une tare. En quoi le multipartisme serait-il plus démocratique que le bipartisme? Parce que, sans le véhicule que sont les tiers partis, certaines mouvances idéologiques ne seraient pas représentées politiquement? C’est complètement faux. Sous un régime de bipartisme, les mouvances minoritaires sont des factions au sein des deux principaux partis, ceux-ci constituent donc des partis de coalition. On n’a qu’à regarder les États-unis: L’aile gauche du Parti démocrate est nettement plus radicale que son mainstream, de même pour l’aile droite du Parti républicain. Les minorités idéologiques n’ont pas une existence politique moindre en tant que factions minoritaires au sein des partis qu’en tant que partis minoritaires au sein du Parlement. Bien sûr, le processus par lequel une majorité gouvernementale se crée à l’intérieur d’un parti de coalition n’est pas le même que celui qui découle d’une coalition de partis. La principale différence est que, d’un côté, on négocie la coalition entre alliés politiques alors que, de l’autre côté, on la négocie entre ennemis politiques. Puisque, par nécessité de majorité parlementaire, des politiciens aux idéologies différentes doivent cohabiter au sein d’un même gouvernement, je crois qu’il est sain de les faire cohabiter au sein d’un même parti pour qu’ils apprennent à coopérer à long terme. Là où le scrutin proportionnel favorise l’existence d’une multitude de partis qui s’allient le temps d’un gouvernement pour se refaire la guerre à chaque élection, le scrutin uninominal incite les différentes mouvances à s’allier permanemment au sein de deux grands partis.

Cette permanence des alliances entre les diverses mouvances politiques n’a pas la cohésion gouvernementale pour seul avantage: Elle offre aussi aux citoyens un choix démocratique plus clair. Comparons les deux systèmes. Si les députés sont élus en proportion du vote populaire, l’élection compose un Parlement fragmenté par plusieurs partis minoritaires qui doivent négocier une coalition majoritaire pour gouverner. Ainsi, l’électeur qui vote pour un de ces partis minoritaires n’a aucune certitude quant à la composition du gouvernement qui se réclamera de son vote. À l’inverse, si les députés sont élus par la pluralité des votes dans chaque circonscription, l’élection compose un Parlement dominé par les deux partis les plus susceptibles de former le gouvernement. Ces partis gouvernent seuls, même s’ils sont minoritaires. Ainsi, lorsque l’électeur vote pour un parti, il sait relativement bien quelle sera la composition d’un gouvernement qui se réclamera de son vote. Plutôt que de laisser les élites politiques négocier le résultat futur de son vote, il vote en fonction des négociations passées des élites politiques. En fin de compte, le bipartisme propose des coalitions claires et permanentes alors que le multipartisme propose des coalitions incertaines et changeantes. Les mêmes forces politiques sont en jeu, la différence se limite au moment auquel les électeurs se prononcent souverainement au-dessus de la joute politique.

Un avantage plus symbolique mais non moins important du scrutin uninominal est qu’il révèle le caractère indirect du pouvoir électoral. Les citoyens n’ont pas le pouvoir, ils élisent les représentants qui ont le pouvoir. Le citoyen individuel n’a aucune autorité publique. Lorsqu’il fait partie d’une vague de votes inutiles au-delà de la pluralité du candidat gagnant, ou lorsque son vote est carrément écarté en votant pour un candidat perdant, le citoyen a la nette impression qu’il ne sert qu’à propulser un candidat vers le pouvoir. Cette impression est bénéfique à la démocratie car elle la représente honnêtement. Si certains citoyens ont une influence sur le pouvoir en dehors du processus électoral, c’est parce qu’ils créent des institutions « supra-démocratiques » à travers lesquelles ils portent leurs intérêts et leurs valeurs. La démocratie, en tant que le gouvernement des élus du peuple (il reste à prouver qu’elle soit autre chose dans les faits), accorde un pouvoir marginal à l’électeur individuel et un pouvoir déterminant à l’électorat dans son ensemble. Là où le scrutin uninominal projette exactement cette réalité à la psyché du citoyen, le scrutin proportionnel lui laisse croire que son vote individuel est déterminant alors que, en réalité, il n’est que moins informé au sujet du gouvernement de coalition qui sera légitimé par lui. Le vote par le scrutin uninominal est plus prudent et moins cynique que celui par le scrutin proportionnel: Exactement ce qu’il faut pour la santé démocratique!

samedi 4 octobre 2008

Sélection naturelle


Un peu de darwinisme pour aujourd’hui. La théorie de la sélection naturelle, à savoir que les espèces les mieux adaptées survivent et que les autres disparaissent, est la plus généralement acceptée dans le monde scientifque pour expliquer l’évolution de l’humanité. Cette même théorie s’applique aussi à l’intérieur de chaque espèce: les membres les mieux adaptés de cette espèce transmettent leur héritage génétique alors que les autres sont écartés du processus reproductif. Ainsi, parmi les loups, toute la meute s’affaire à garantir la survie des rejetons du mâle alpha. De même, parmi les gorilles, seul le mâle le plus fort se reproduit avec toutes les femelles. Toutes les espèces ont un processus sensiblement différent pour déterminer quels membres verront leurs gênes se perpétuer et quels membres seront des branches mortes de leur espèce.

Quand on porte notre regard sur l’humanité moderne, il semble que la sélection naturelle ait perdu la plus grande partie de son sens. Bien sûr, les individus les plus beaux, les plus intelligents et les plus forts ont un certain avantage reproductif car il leur est plus facile de séduire les membres du sexe opposé mais tellement de facteurs viennent fausser cette donne que cet avantage ne veut plus dire grand chose. Le premier de ces facteurs est la contraception. Que les humains les plus beaux, les plus intelligents et les plus forts copulent ensemble ne fait pas d’eux les porteurs du patrimoine génétique de l’humanité s’ils utilisent des moyens contraceptifs. Un autre de ces facteurs est la monogamie. Si un individu est laid, stupide et faible, une culture monogame lui offre néanmoins de bonnes chances de reproduction puisque, le nombre d’hommes et de femmes étant presque égal, un membre de l’autre sexe sera probablement disponible pour lui malgré la piètre qualité de son patrimoine génétique. La monogamie est ainsi l’incarnation par excellence de l’égalitarisme génétique. On pourrait aussi penser à d’autres facteurs tels que la procréation assistée, l’avortement et tous les phénomènes humains qui délogent le critère de la supériorité génétique en tant que critère déterminant de la transmission des gênes. Face à tous ces facteurs, deux écoles de pensée sont possibles: Soit on rejette la validité de la sélection naturelle, soit on révolutionne notre conception de la sélection naturelle. Je désire discuter de nouvelles conceptions de la sélection naturelle.

La plus célèbre de ces nouvelles conceptions est la théorie qu’on nomme le “darwinisme social”. Selon cette théorie, les mieux adaptés ne sont pas ceux qui dominent les autres de façon traditionnelle, c’est-à-dire en monopolisant la reproduction, mais bien ceux qui dominent socialement. Le darwinisme étant fondé sur des critères génétiques, cette théorie y déroge largement en incluant des critères sociaux tels que le succès économique ou la popularité parmi les critères d’adaptation malgré que ces critères soient très peu susceptibles d’être transmis à la descendance. Cette théorie découle de la présomption selon laqulle les élites sociales sont composées d’invididus généralement plus beaux, plus intelligents et plus forts que la moyenne, et donc que la supériorité génétique produit une supériorité sociale. Je crois que cette logique est simpliste et superficielle puisqu’elle néglige le fait que d’autres facteurs sont déterminants au succès social. Par exemple, l’audace, bien qu’elle soit très utile pour gravir la hiérarchie sociale, n’est pas forcément un avantage en termes de survie. Ainsi, les élites sociales ne sont pas corrélativement les plus aptes à survivre. Le darwinisme social est une théorie qui visait à démontrer que, malgré toutes les nouveautés de la société moderne, la sélection naturelle continue son oeuvre en favorisant la survie des plus adaptés. J’oserais dire que cette démonstration est un échec intellectuel et qu’elle est aujourd’hui largement discréditée, en partie parce que les nazis l’utilisèrent pour justifier leur domination raciale.

Je propose une autre conception du darwinisme. Je rejette la logique selon laquelle la complexification des structures sociales nous obligerait à remplacer les critères génétiques par des critères sociaux. Le darwinisme est une théorie génétique : c’est la transmission effective des gênes qui déterminent qui sont les individus les mieux adaptés à la survie. Tout écart de cette logique m’apparaît comme une tentive pour démontrer des hypothèses autres que celle de la survie véritable des mieux adaptés. Je crois que, malgré les nombreux facteurs abordés plus haut qui faussent la survie des mieux adaptés au sens traditionnel, la sélection naturelle fait néanmoins son oeuvre au sein de l’humanité moderne avec la même intensité qu’elle le faisait pour l’humanité préhistorique. Bien sûr, la forme de cette sélection naturelle est radicalement différente mais elle n’est pas moins importante pour autant. Quelle est cette nouvelle forme de la sélection naturelle? Elle revient à l’essentiel: à la reproduction effective. Ainsi, si on examine les qualités des individus qui se reproduisent effectivement à notre époque, on remarque qu’ils ne sont pas les plus beaux, les plus intelligents et les plus forts. Pratiquement tous les individus ont la capacité de se reproduire grâce à la culture monogame. La seule qualité qui différencie clairement les reproducteurs des non-reproducteurs est la volonté de se reproduire. Puisqu’il y a tant de moyens de se reproduire si on le veut, et tant de moyens d’empêcher la reproduction si on n’en veut pas, c’est la volonté plus que tout autre facteur qui détermine la reproduciton effective. Ainsi, ce n’est plus la capacité mais la volonté de se reproduire qui caractérise les mieux adaptés à la survie.

Cette conception peut sembler incohérente à première vue mais, à bien y penser, elle concorde parfaitement avec l’esprit de notre époque. La religion n’offre plus de sens à notre existence par la foi, notre vie semble donc absurde. Nous sommes des individus insignifiants par rapport aux immenses masses humaines dont nous faisons partie, notre personne semble donc inutile. Nous voyons l’environnement se dégrader et les experts nous disent que le futur sera bien pire encore, notre avenir semble donc vain. Ce n’est pas sans raison que tant d’individus à notre époque sont dépressifs et suicidaires. Le plus grand défi de notre époque n’est plus d’avoir la force de vivre : c’est d’avoir la force de vouloir vivre! Ainsi, la simple volonté de se reproduire, de transmettre notre existence la plus viscérale à nos descendants, est effectivement la qualité qui fait de nous les mieux adaptés à survivre. Ceux dont l’instinct sexuel ne les porte pas strictement à copuler mais bien à procréer sont les individus les mieux adaptés de notre époque: Ils sont ceux dont le patrimoine génétique se perpétuera jusqu’à la prochaine époque. La sélection naturelle d’aujourd’hui fait son oeuvre ainsi: les instincts les plus sains font les esprits les plus forts qui créent les héritages les plus réels. À l’âge où le matérialisme a presque complètement envahit le domaine du spiritualisme, la nature garantit l’équilibre existentiel en faisait d’une qualité spirituelle le facteur déterminant de l’évolution de l’humanité.