mercredi 22 octobre 2008

Nous, les corporations


Qui dit que les débats politiques sont tous vides et fades? Le dernier des trois débats entre les deux candidats à la présidence des États-unis, Barack Obama et John McCain, était rempli d’affirmations franches et explicites. Par exemple, juste au sujet de la fiscalité, on a l’impression de percevoir la lutte des classes à son niveau le plus élémentaire. J’entends souvent les gens dire que la droite est secrètement contrôlée par les corporations. C’est étrange, car je ne vois pas tant de secret dans l’alliance entre la droite et les corporations. Si Obama peut accuser constamment McCain d’être à la solde des corporations en citant les dizaines de milliards en baisses d’impôts qu’il leur promet, c’est parce que les Républicains l’ont annoncé et le reconnaissent en pleine campagne électorale. Autrement, McCain nierait ces accusations à répétition, ce qu’il ne fait pas.

Ce faisant, les Républicains avouent qu’ils représentent les intérêts des corporations : « Nous, les corporations ». Cependant, ils prétendent que les intérêts des corporations sont compatibles avec ceux du peuple parce que les corporations investissent alors que le peuple consomme. Quoi qu’il en soit, il est remarquable que cette fameuse oligarchie financière toujours dénoncée par les socialistes fasse ouvertement compétition au sein du processus démocratique pour faire valoir ses intérêts : Oubliez la corruption secrète des décideurs après qu’ils soient élus (ça se produit aussi, mais ce n’est pas – ou plus – la stratégie centrale des élites financières).

Joe le Plombier



Éphémère figure médiatique de la campagne présidentielle, Joe le Plombier incarne le travailleur, le prolétaire qui travaille 10 ou 12 heures par jour (voir les 30 premières secondes de la vidéo), qui ne veut pas payer les horribles impôts démocrates. Les méchants démocrates vont l’empêcher de réaliser le rêve américain! Ça a du sens… Surtout quand on réalise que Joe gagne plus de 200 000 $ par année … et tout le monde sait que c’est à 200 000 $ par année que le rêve américain commence! Joe n’est donc pas ce prolétaire qui espère réaliser le rêve américain, il est un entrepreneur qui réalise le rêve américain! À cet égard, ces échanges à la fin de la vidéo me semblent particulièrement révélateurs.

Obama – « Mon ami et supporteur Warren Buffett peut se permettre de payer un peu plus d’impôts… »
McCain – « C’est de Joe le Plombier dont on parle! »
Obama – « … pour qu’on puisse baisser les impôts de Joe avant qu’il ne soit au point où il peut faire 200 000 $. »

La stratégie de McCain pour faire croire que ses baisses d’impôts profiteraient aussi à des gens qui ne sont pas riches a échouée : Les téléspectateurs réalisent alors, soudainement, que Joe le Plombier n’est pas un prolétaire. Obama a tenté autant que possible d’éviter de caractériser les petits entrepreneurs comme Joe parmi les « riches » qui doivent payer des impôts, préférant plutôt mentionner le milliardaire Warren Buffett, mais, après avoir été poussé dans le coin par McCain, il s’y est résigné.

Obama – « Personne n’aime les impôts […] mais nous devons ultimement payer pour ces investissements essentiels qui font une économie forte – »
McCain – « Personne n’aime les impôts, n’augmentons les impôts de personne. »
Obama – « Non, ça ne me dérange pas d’en payer un peu plus. »

Ce dernier échange est, à mes yeux, l’incarnation de la division la plus profonde entre la gauche et la droite. Cette affirmation de McCain, « Personne n’aime les impôts, n’augmentons les impôts les personne » est ce qui me rebute de la droite. C’est clair que la pauvre mère monoparentale n’aime pas plus les impôts que le riche PDG; est-il également injustifié de leur faire payer des impôts pour autant? Cette idée qu’on ne doit pas trop taxer les riches à cause du danger de relocalisation est sensée dans la mesure où elle n’est pas poussée à l’extrême. On ne doit pas trop taxer les riches mais il faut les taxer plus que la classe moyenne! Les corporations sont déjà assez puissantes; elles n’ont pas besoin d’être favorisées lorsque vient le temps de décider qui payera les impôts. Le capitalisme que prône formellement la droite est trop souvent un corporatisme qui pousse le peuple dans les bras du socialisme. Si nous devons avoir un capitalisme juste et équitable, la taxation progressive est une nécessité au moins pour symboliser que les corporations n’ont pas une emprise décisive sur le gouvernement. Les capitalistes qui m’inspirent confiance sont ceux qui n’ont pas peur d’utiliser le vocable « justice sociale » pour définir ce que procure le capitalisme qu’ils proposent. Le capitalisme des Républicains américains et de la droite politique en général ressemble plus au capitalisme que Marx dénonçait, c’est-à-dire au corporatisme au sein duquel les corporations contrôlent l’État, qu’à un véritable système de concurrence libre et équitable.