mercredi 29 octobre 2008

Imaginer la paix


Imagine there’s no countries
It isn’t hard to do
Nothing to kill or die for
And no religion too


Ces paroles de la célèbre chanson « Imagine » de John Lennon expriment purement l’idéal pacifiste. Nous ne devons pas combattre, nous devons nous aimer. Les pays ne sont pas importants, les gens sont importants : Il est absurde de sacrifier des gens pour des pays. Le patriote qui accepte de tuer et de mourir pour son pays crée un cercle vicieux : Il tue pour se protéger et il se fait tuer par ceux qui se protègent de lui ! La religion aussi inspire des guerres, la religion aussi devrait disparaître.

C’était la réflexion à partir de la réalité vers l’idéal, faisons maintenant la réflexion à partir de l’idéal vers la réalité : C’est un exercice beaucoup moins poétique mais nettement plus instructif. Le patriotisme guerrier étant un cercle vicieux, les progressistes s’imaginent incarner le progrès en quittant ce cercle vicieux tout bonnement. Que les deux tiers de l’humanité soit toujours dans ce cercle vicieux ne les émeut nullement : Nous, progressistes, devons être l’exemple de l’humanité. Donc, dans un monde où les deux tiers du monde sont composés de pays pour lesquels des patriotes sont prêts à tuer et à mourir, la petite faction progressiste est composée de pays sans patriotes. Leur intuition leur dicte que, nous voyant nous démunir de l’arme dont dépend toutes les autres, l’esprit guerrier, les autres pays seront inspirés par l’exemple et s’en démuniront de même.

Bien être bien franc, cette intuition me paraît très naïve. Je ne prône pas la guerre mais mon intuition me dicte que, le jour où nous perdrons la volonté et la détermination nécessaires pour mener une guerre, nous cesserons d’être un pays souverain. Le jour où plus personne n’acceptera de tuer et de mourir pour notre pays, les pays les plus agressifs pourront nous dicter tous leurs caprices. Il n’y a qu’à voir le Tibet : Ce fut la conquête la plus facile du monde ! Je condamne l’impérialisme des Chinois ; la Chine n’est pas pardonnée parce que les Tibétains sont paisibles. Par contre, le pacifisme des Tibétains ne m’inspire aucune admiration. Leur culture et leur spiritualité disparaissent alors que la Chine assure la décadence de leurs jeunes ; cet adieu serein à l’existence est-il porteur d’une véritable dignité ? Les Tchétchènes n’ont pas particulièrement plus de succès contre les Russes mais j’admire leur résistance acharnée : Il y a là une volonté de vivre, d’exister dans sa forme authentique, qui incarne les meilleures raisons pour lesquelles l’humanité mérite d’être protégée ! Je partage l’importance que les pacifistes accordent à la valeur de la vie humaine, seulement je crois que le véritable amour de la vie est celui qui est prêt à se battre pour la vie. Je crois que les vrais humanistes sont ceux qui acceptent le paradoxe d’enlever la vie pour sauver la vie.

Le militarisme peut être humanitaire en ce sens que les moyens militaires peuvent devenir exclusivement au service des causes humanitaires. Le vice du militarisme est qu’il est traditionnellement associé à l’impérialisme : À la volonté de dominer les étrangers en tirant des avantages d’eux. En quoi les forces militaires sont-elles forcément vouées à maintenir ce rôle traditionnel ? À mes yeux, le progressisme réel (réaliste) n’est pas celui qui aspire à abolir le militarisme mais bien celui qui aspire à abolir l’impérialisme pour humaniser le militarisme. Les pires souffrances actuellement vécues dans les pays défavorisés ne sont pas causées par la maladie et la famine : Elles sont causées par la tyrannie et le barbarisme. Si notre volonté est de venir en aide aux déshérités de la Terre que sont les Africains, qui subissent les pires exactions et les pires massacres au quotidien, les forces militaires peuvent apporter beaucoup plus de bien-être que des denrées et des médicaments (qui ne sont pas moins primordiales pour autant).

Bien sûr, contrairement à l’aide économique, les interventions militaires nécessitent une puissante vigueur politique en plus de l’argent. Ainsi, les politiciens sans principes qui ne visent qu’à satisfaire leur électorat se réjouissent de voir les progressistes adopter la morale pacifiste : Ils n’ont pas besoin de s’engager dans de dangereuses aventures politiques pour prétendre à l’humanisme. Si les progressistes s’attendaient des gouvernements qu’ils soient adéquatement armés et légitimés pour intervenir militairement lorsqu’un génocide commence, le Rwanda et le Darfour auraient été évités sans aucun doute. Malheureusement, la réalité est autre. Les conservateurs sont militaristes mais ils laissent les vieux relents impérialistes diriger l’action des forces militaires. Les progressistes sont carrément anti-militaristes : ils dénoncent la non-action des armées occidentales face aux génocides mais ils dénoncent tout autant les dépenses et le recrutement nécessaires pour se donner les moyens de telles actions. Ainsi, il ne reste personne de prêt à se battre pour l’humanisme ; il n’y a que ceux qui le banalise et ceux qui s’en réclame sans en accepter les sacrifices nécessaires. J’estime que les progressistes font un bon travail de sensibilisation pour que l’humanisme ne soit plus banalisé mais je ne vois pas qui invite aux sacrifices nécessaires… Peut-être n’y a-t-il personne. Ici encore, rien de mystérieux : À l’ère de la politique facile, simple et prévisible, est-il plus payant de verser une larme en parlant de nos morts ou d’appeler ses compatriotes à se sacrifier pour sauver la vie d’étrangers ?