mercredi 22 octobre 2008

Quel nationalisme?


Le nationalisme est un phénomène fascinant. Il sait être le porteur du meilleur et du pire. De la solidarité humaine la plus concrètement vécue jusqu’à la haine maladive la plus injustifiée, le sentiment national inspire des valeurs aussi étonnantes que diverses. Ces valeurs peuvent être inclusives ou exclusives, totalitaires ou aristocratiques. Alors que les différents degrés de ces valeurs varient subtilement en fonction des nationalismes particuliers, on peut imaginer un très vaste éventail de sentiments nationaux.

Certains nationalistes ont le besoin d’être exclusifs alors que d’autres ne l’ont pas. Pour ceux qui l’ont, la possibilité d’avoir deux idées du « nous », une forte et une faible, paraît nettement moindre que celle d’avoir un « nous » unique et fort. Les nationalistes exclusifs croient que la solidarité nationale est généralement diluée si elle inclut un « nous » faible, ce qui diminue d’autant la raison d’être du nationalisme. Au Canada, ils sont ces nationalistes qui espèrent, au moins secrètement, que la culture anglaise assimilera éventuellement l’héritage français du Québec. Au Québec, ils sont ces nationalistes qui abhorrent l’idée même d’un pacte fédératif avec le Canada anglais, sans égard pour le contexte sociohistorique. Dans les deux cas, ils rêvent d’une nation unie non pas au sens « ensemble » mais bien unie au sens « un ». Les nationalistes inclusifs sont ceux qui veulent une nation unie au sens « ensemble »; c’est-à-dire que l’unité est sa fin mais qu’on accepte que sa source soit diversifiée. Ces nationalistes croient qu’un tout nouveau sentiment de solidarité est créé par l’addition d’un nationalisme plus large; l’ancienne solidarité nationale n’étant aucunement affectée par la nouvelle. Selon cette logique, il n’y a aucune contradiction à l’idée qu’un pays soit composé de plusieurs nations. Le fédéralisme n’est compatible qu’avec le nationalisme inclusif car le nationalisme exclusif aspire à l’idéal de l’État-nation, c’est-à-dire la concordance entre les frontières nationales et les frontières étatiques. Pour le Québec, cela implique un pays séparé alors que, pour le Canada, cela implique un État unitaire (centralisé). Autant au Québec qu’au Canada, on voit ces deux types de nationalisme se confronter.

Cette distinction entre nationalismes inclusif ou exclusif relève de la prémisse idéologique du nationalisme. L’autre distinction, pas complètement étrangère à la précédente, est celle qui relève de la culture sociale amenée par le nationalisme. Selon cette deuxième distinction, le nationalisme peut être totalitaire ou aristocratique. Lorsque le sentiment national est totalitaire, son idéal est d’unir tous les citoyens en un Tout indivisible et uniforme. Les citoyens sont ainsi des organes de cet être collectif qu’est la nation; leur vie n’a de sens que par leur appartenance à la nation. Bien que ça ne soit pas évident pour l’observateur superficiel, le charme de cette vision relève de ses racines égalitaires. La justice sociale n’est pas seulement économique : elle est morale. Ainsi, ce n’est pas l’écart de richesse qui est la source de l’injustice : c’est l’écart de dignité. Si la dignité de l’individu est celle de la nation et vice-versa, il ne peut subsister aucun écart de dignité. L’individu doit tout à la nation et la nation doit tout à l’individu; l’obligation est réciproque et indéfinie. L’effet pratique de cette obligation est le pouvoir absolu des chefs nationaux : aucun moyen n’est trop lourd lorsqu’il s’agit d’assurer l’« entraide » entre les citoyens et la nation. Ainsi, là où le sentiment égalitaire est extrême, le sentiment national est totalitaire. Une fois le sentiment national devenu totalitaire, il reste ainsi même si le sentiment égalitaire disparaît… L’idée nationale devenant un credo spécifique plutôt qu’un simple sentiment d’appartenance, elle constitue le socle d’un régime totalitaire à venir. Le nationalisme américain prend un penchant totalitaire lorsque que ceux qui s’opposent aux guerres menées par leur nation sont accusés de manquer de patriotisme. De même lorsque des Québécois qui ne partagent pas lesdites « valeurs québécoises », à savoir la social-démocratie et le progressisme, sont accusés d'être américanisés.

Si le nationalisme est aristocratique, la culture sociale est bien différente. Là où la nation totalitaire se conçoit comme une entité supérieure composée des citoyens, la nation aristocratique se conçoit comme une entité extérieure à laquelle s’associent les citoyens. C’est le nationalisme antique : celui des patriciens romains qui investissaient leur fortune personnelle pour sauver leur patrie (à l’inverse des aristocrates modernes qui condamnent leur patrie pour gonfler leur fortune personnelle). La différence entre le nationalisme aristocratique (que certains préfèrent nommer « patriotisme ») et le libéralisme est plus psychologique qu’institutionnelle. Tous les nationalistes estiment que la nation est plus importante que l’individu (c’est la différence essentielle avec le libéralisme) mais, alors que le nationaliste totalitaire estime que la nation est une incarnation unique, le nationaliste aristocratique estime que la nation est une incarnation multiple. Ainsi, la nation aristocratique est naturellement unie dans le sacrifice nécessaire pour résister à une force étrangère mais elle est tout aussi naturellement divisée dans ses affaires internes; les rivaux à l’intérieur de la nation ne sont pas considérés comme des ennemis de la nation. Ce nationalisme est aristocratique car, en l’absence d’une autorité unique pour diriger l’entité nationale, celle-ci est dirigée par ses élites diverses. En admettant que la nation n’est pas uniforme, on permet à des élites rivales de se faire compétition pour la suprématie sans que celle-ci ne soit jamais absolument atteinte.

Mon objectif en écrivant ce texte est de faire valoir la diversité des réalités qui sont représentées par le terme « nationalisme ». Certains libéraux dénigrent le nationalisme comme étant une philosophie archaïque et grossière; certains nationalistes dénigrent tout ce qui n’est pas leur propre nationalisme comme une forme d’égoïsme, voire de lâcheté. Si on accepte que être « nationaliste » n’indique rien de précis, sinon qu’on est moins individualiste que les libéraux, on comprend mieux comment les nationalistes peuvent être en profond désaccord sur ce que devrait être la nation. Personnellement, je n’aime vraiment pas l’attitude englobante que prend le nationalisme du Québec. Lorsque certains nationalistes me disent que mes valeurs ne sont pas québécoises, ils m’enlèvent effectivement l’envie de m’identifier à la nation québécoise. Je ne dis pas que ces nationalistes sont totalitaristes, je dis que cette forme de nationalisme tend vers le totalitarisme et que, si on le laisse se développer ainsi, il le deviendra un jour. Le nationalisme doit être un sentiment d’appartenance, il doit être du patriotisme; il ne doit pas être un credo particulier servant à marginaliser ceux qui n’y adhèrent pas.