mercredi 15 octobre 2008

Non au scrutin proportionnel


Pour les non-initiés au débat sur le mode de scrutin, je commence par un bref aperçu des deux possibilités générales. D’un côté, il y a le mode de scrutin uninominal: C’est le vote par circonscription présentement utilisé. Les citoyens de chaque circonscription votent pour un candidat désigné par son parti, celui qui reçoit le plus de votes (la « pluralité ») est élu. Ainsi, un candidat peut être élu par une minorité si plusieurs autres candidats se divisent la majorité. Les votes pour les candidats perdants n’ont aucun effet parlementaire. Ces votes procurent une certaine crédibilité médiatique ainsi qu’un maigre financement gouvernemental mais ils n’accordent aucune autorité officielle. De l’autre côté, il y a le mode de scrutin proportionnel: C’est le vote par liste de parti. Plutôt que de voter pour un candidat individuel, l’électeur vote pour un parti politique. Les candidats sont élus parmi les listes des partis en proportion des votes de l’ensemble de l’électorat. Ainsi, aucun vote n’est « perdu » car chaque vote individuel est directement investi dans le bassin électoral des partis politiques. Les candidats élus par ces listes ne représentent pas une communauté spécifique; leur mandat est d’autant plus diffus que c’est l’élite des partis, sinon la chefferie elle-même, qui décide la composition desdites listes.

J’ai longtemps été un fervent supporteur du scrutin proportionnel; j’ai appuyé quelques initiatives le favorisant et j’ai argumenté à répétition en sa défense. Ces argumentations m’ont amené à une importante remise en question face au scrutin proportionnel. Comme le titre l’indique sans équivoque, je désavoue maintenant le scrutin proportionnel: Je me porte conséquemment à la défense du scrutin uninominal.

Le scrutin uninominal, en écartant les votes pour les candidats perdants, crée une puissante pression en faveur du bipartisme. À mon avis, il s’agit là d’une vertu plus que d’une tare. En quoi le multipartisme serait-il plus démocratique que le bipartisme? Parce que, sans le véhicule que sont les tiers partis, certaines mouvances idéologiques ne seraient pas représentées politiquement? C’est complètement faux. Sous un régime de bipartisme, les mouvances minoritaires sont des factions au sein des deux principaux partis, ceux-ci constituent donc des partis de coalition. On n’a qu’à regarder les États-unis: L’aile gauche du Parti démocrate est nettement plus radicale que son mainstream, de même pour l’aile droite du Parti républicain. Les minorités idéologiques n’ont pas une existence politique moindre en tant que factions minoritaires au sein des partis qu’en tant que partis minoritaires au sein du Parlement. Bien sûr, le processus par lequel une majorité gouvernementale se crée à l’intérieur d’un parti de coalition n’est pas le même que celui qui découle d’une coalition de partis. La principale différence est que, d’un côté, on négocie la coalition entre alliés politiques alors que, de l’autre côté, on la négocie entre ennemis politiques. Puisque, par nécessité de majorité parlementaire, des politiciens aux idéologies différentes doivent cohabiter au sein d’un même gouvernement, je crois qu’il est sain de les faire cohabiter au sein d’un même parti pour qu’ils apprennent à coopérer à long terme. Là où le scrutin proportionnel favorise l’existence d’une multitude de partis qui s’allient le temps d’un gouvernement pour se refaire la guerre à chaque élection, le scrutin uninominal incite les différentes mouvances à s’allier permanemment au sein de deux grands partis.

Cette permanence des alliances entre les diverses mouvances politiques n’a pas la cohésion gouvernementale pour seul avantage: Elle offre aussi aux citoyens un choix démocratique plus clair. Comparons les deux systèmes. Si les députés sont élus en proportion du vote populaire, l’élection compose un Parlement fragmenté par plusieurs partis minoritaires qui doivent négocier une coalition majoritaire pour gouverner. Ainsi, l’électeur qui vote pour un de ces partis minoritaires n’a aucune certitude quant à la composition du gouvernement qui se réclamera de son vote. À l’inverse, si les députés sont élus par la pluralité des votes dans chaque circonscription, l’élection compose un Parlement dominé par les deux partis les plus susceptibles de former le gouvernement. Ces partis gouvernent seuls, même s’ils sont minoritaires. Ainsi, lorsque l’électeur vote pour un parti, il sait relativement bien quelle sera la composition d’un gouvernement qui se réclamera de son vote. Plutôt que de laisser les élites politiques négocier le résultat futur de son vote, il vote en fonction des négociations passées des élites politiques. En fin de compte, le bipartisme propose des coalitions claires et permanentes alors que le multipartisme propose des coalitions incertaines et changeantes. Les mêmes forces politiques sont en jeu, la différence se limite au moment auquel les électeurs se prononcent souverainement au-dessus de la joute politique.

Un avantage plus symbolique mais non moins important du scrutin uninominal est qu’il révèle le caractère indirect du pouvoir électoral. Les citoyens n’ont pas le pouvoir, ils élisent les représentants qui ont le pouvoir. Le citoyen individuel n’a aucune autorité publique. Lorsqu’il fait partie d’une vague de votes inutiles au-delà de la pluralité du candidat gagnant, ou lorsque son vote est carrément écarté en votant pour un candidat perdant, le citoyen a la nette impression qu’il ne sert qu’à propulser un candidat vers le pouvoir. Cette impression est bénéfique à la démocratie car elle la représente honnêtement. Si certains citoyens ont une influence sur le pouvoir en dehors du processus électoral, c’est parce qu’ils créent des institutions « supra-démocratiques » à travers lesquelles ils portent leurs intérêts et leurs valeurs. La démocratie, en tant que le gouvernement des élus du peuple (il reste à prouver qu’elle soit autre chose dans les faits), accorde un pouvoir marginal à l’électeur individuel et un pouvoir déterminant à l’électorat dans son ensemble. Là où le scrutin uninominal projette exactement cette réalité à la psyché du citoyen, le scrutin proportionnel lui laisse croire que son vote individuel est déterminant alors que, en réalité, il n’est que moins informé au sujet du gouvernement de coalition qui sera légitimé par lui. Le vote par le scrutin uninominal est plus prudent et moins cynique que celui par le scrutin proportionnel: Exactement ce qu’il faut pour la santé démocratique!