dimanche 12 février 2012

Les degrés du sexe


Bien que la diversité des pratiques sexuelles soit infiniment vaste, nous pouvons identifier quatre degrés au sexe : le sexe instinctif, le sexe émotif, le sexe unitif et le sexe procréatif. D’emblée, je souhaite préciser une évidence: les degrés du sexe ne sont pas exclusifs. Un degré du sexe n’empêche pas l’autre; au contraire, chaque degré relève de l’autre. Chaque degré du sexe est une bonne chose en lui-même et procure une forme de bien-être; nous sommes voués à jouir pleinement des plaisirs sexuels. Les philosophies qui condamnent le sexe ou qui le discréditent comme une basse réalité sont des doctrines morbides. Le sexe exalte la vie, il exulte de vie. Le sexe participe grandement à la gloire incarnée par humanité; la beauté des arts et de la culture est magnifiée en incorporant le sexe.

La valeur du sexe, comme toutes les valeurs, peut être déréglée. Certains exemples sont patents: La zoophilie, la nécrophilie, la pédophilie et l’inceste sont des pratiques sexuelles dont le dérèglement est évident pour l’immense majorité des gens. Ce jugement commun n’a pas pour but de déprécier le sexe: au contraire! De telles pratiques salissent le sexe, elles l’abaissent en-dessous de sa valeur véritable et elles pervertissent l’esprit de ceux qui s’y adonnent et de ceux qui les subissent. Lorsque l’on condamne ces pratiques, on souhaite protéger la beauté du sexe et on espère que tous puissent en jouir sainement. Ces condamnations s’opposent à la liberté sexuelle absolue mais elles visent à garantir une liberté sexuelle plus authentique. Qu’il soit donc bien clair qu’une opposition à des pratiques sexuelles particulières n’équivaut pas à une opposition au sexe. Si des éléments destructifs s’attachent à une chose précieuse, on s’attaque à ces éléments pour protéger la chose: Pas pour détruire la chose.

Ainsi, certaines pratiques sexuelles suscitent une condamnation dans l’ensemble de la population. D’autres pratiques sexuelles suscitent une condamnation parmi une frange plus ou moins grande de la population. Depuis les orgies entre couples échangistes jusqu’à la contraception entre époux fidèles en passant par les aventures entre inconnus passionnés et par le sexe hors mariage entre amants engagés, toutes sortes de pratiques sexuelles sont rejetées car elles contreviennent à différents systèmes de valeurs. Dans la mesure où ces rejets portent bel et bien sur les pratiques décriées et qu’ils ne s’adressent pas à la sexualité en tant que telle, ils constituent des objections morales légitimes que toute personne réellement respectueuse du sexe sera intéressée à comprendre.

Je reviens maintenant aux degrés du sexe que j’ai énumérés plus haut. Ces degrés représentent des ensembles de pratiques qui recoupent des valeurs communes. La première distinction est celle qui sépare le sexe instinctif du sexe émotif. Le sexe instinctif a toute la vigueur et tout l’abandon de l’animalité; il est naturellement irréfléchi et il n’a aucune pensée au-delà de la chair. Le sexe instinctif est à la fois essentiel et dangereux. Il est essentiel car il est la source de toutes les pulsions sexuelles; il est dangereux car il est complètement aveugle et inconséquent. Le sexe instinctif est centré sur lui-même; sa seule fin est sa propre gratification. Cette gratification peut être combinée avec les joies des autres degrés du sexe, ou pas.

Le sexe émotif est plus doux et plus significatif que le sexe instinctif; il constitue une expérience unique et irremplaçable. Le sexe émotif inclut mais ne se limite pas au sexe dans le cadre d’une relation amoureuse engagée; une aventure d’un soir entre deux amants enivrés d’admiration et de fascination l’un pour l’autre correspond entièrement au sexe émotif, même s’ils ne sont pas engagés et même si cette aventure constitue la trahison d’un engagement. Il s’agit du sexe de la légèreté, de la titillation et de la séduction. Les amants émotifs laissent leurs êtres se toucher en profondeur; ils partagent une intimité sincère. Ce sexe est proprement humain puisqu’il évoque les passions les plus vives de l’esprit. Le sexe émotif ne nie pas le sexe instinctif: Il le capte et il le sublime pour en multiplier la beauté.

La seconde distinction est celle qui sépare le sexe émotif du sexe unitif. C’est ici que le sexe devient authentiquement spirituel car les amants unitifs se donnent véritablement l’un à l’autre. Le sexe n’est pas centré sur lui-même ni sur le moment présent: Il se projette sur l’autre et dans le temps. Le sexe unitif est donc fondé sur l’engagement. Dans sa forme la plus faible, cet engagement est une entente implicite et temporaire. Dans sa forme la plus forte, cet engagement est un mariage formel et indissoluble. Dans tous les cas, les amants unissent leurs chairs en unissant leurs esprits. L’émotion n’est pas amoindrie par l’union; au contraire, la puissance de l’émotion est renforcée par la confiance de l’union.

Finalement, la troisième distinction est celle qui sépare le sexe unitif du sexe procréatif. La procréation porte l’union à son summum et elle la rapporte aux racines concrètes de l’instinct. L’instinct sexuel existe afin que l’humain procrée; le sexe procréatif est l’apothéose du sexe instinctif. Par le sexe procréatif, la boucle est bouclée. La procréation est à la physiologie ce que l’union est à la psychologie: Deux individus qui mettent leur être en commun. La générosité transcende alors le couple: Les amants ne se donnent plus seulement l’un à l’autre, ils se donnent ensemble à leurs enfants. La procréation est l’origine de l’existence de chacun d’entre nous; elle est logiquement un aspect fondamental de notre vocation existentielle.

On peut être en désaccord avec l’idée qu’un degré du sexe magnifie le degré précédent, c'est-à-dire que le sexe émotif magnifie le sexe instinctif, que le sexe unitif magnifie le sexe émotif et que le sexe procréatif magnifie le sexe unitif. On peut croire que la valeur et la beauté de chaque degré du sexe sont indépendantes de celles des autres degrés, et qu’on peut être tout aussi heureux en se cantonnant dans certains degrés du sexe qu’en aspirant à les combiner tous. Ultimement, ce n’est pas une question d’arguments. Le sexe est une question tellement intime qu’elle se limite pratiquement aux expériences et aux témoignages. L’erreur est généralement de ne pas se poser la question, de ne pas réfléchir posément au sujet de nos expériences, de ne pas rechercher les témoignages les plus révélateurs ou de ne pas les prendre au sérieux. Ma croyance est qu’un questionnement intègre au sujet du sexe révèle invariablement que les degrés du sexe sont magnifiés l’un par l’autre, et que l’on devrait aspirer à les combiner.

Une autre question est plus difficile: Est-ce que, en s’adonnant à un degré du sexe séparément des autres degrés, on trouve un bonheur sexuel limité ou est-ce que l’on nuit carrément à notre bonheur sexuel? Dans la mesure où il serait admis que le scénario idéal est celui où l'on jouit de tous les degrés du sexe combinés, est-il préférable de jouir du sexe de façon incomplète ou de s’abstenir de tous les plaisirs du sexe? Les romantiques diront que la beauté du sexe émerge lorsque l’instinct et l’émotion sont combinés, et que l’on trahit nos émotions si on les sépare de nos instincts. Si l’on applique cette même logique à l’ensemble des degrés du sexe, on trouve la doctrine catholique selon laquelle la contraception est un affront au sexe de la même façon (quoiqu’à un degré moindre) que la fornication. À mi-chemin entre ces deux positions, on trouve la position selon laquelle le sexe instinctif et le sexe émotif doivent toujours être combinés au sexe unitif, le sexe procréatif n’étant pas une condition à la vertu du sexe. Chacune de ses positions est le reflet d’un système de valeur – je dirais même d’un esthétisme existentiel – hautement significatif.